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Commémoration 2016 pour Odette et Moussa

3 octobre 2016

Le dimanche 18 septembre dernier, malgré l'indisponibilité de certains piliers, nous étions nombreux pour honorer la mémoire d'Odette et Moussa. Ce fut un beau moment de partage et de mémoire, doublé du plaisir de voir le cercle s'agrandir un peu plus chaque année.

Pour la première fois, nous nous retrouvions un dimanche en fin de matinée plutôt qu'en semaine. Cela aura permis à plusieurs d'entre nous d'être présents contrairement à ce que leurs obligations professionnelles leur imposaient jusque là.

Le Rabbin Daniel Fahri nous a fait, une fois de plus, l'honneur, de célébrer avec nous cet hommage. Il a introduit cette cérémonie par une idée, lancée à l'assemblée bienveillante : Pourquoi ne pas graver dans le marbre (au sens propre) l'histoire d'Odette et Moussa ? N'y aurait-il pas une façon de raconter en un lieu choisi l’œuvre qui fut la leur et que nous essayons de perpétuer ? Nous ne manquerons pas d'intégrer à nos projets la réflexion autour de cette proposition.

Daniel Fahri a continué en lisant le poème "Un visage d'homme" de Benjamin Fondane :

C'est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d'homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l'homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance !
L'hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage — il reste peu d'intelligibles !

Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d'orties sous vos pieds,
— alors, eh bien, sachez que j'avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l’œil, cet œil pleurait un peu de sel. Et quand
une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes, tout comme vous j'étais cruel, j'avais
soif de tendresse, de puissance,
d'or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j'étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l'heure de l'échec !

Oui, j'ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j'ai aimé, j'ai pleuré, j'ai haï, j'ai souffert,
j'ai acheté des fleurs et je n'ai pas toujours
payé mon terme. Le dimanche j'allais à la campagne
pêcher, sous l’œil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir. Après, après, je rentrais me coucher, fatigué,
le cœur las et plein de solitude,
plein de pitié pour moi,
plein de pitié pour l'homme,
cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme
cette paix impossible que nous avions perdue
naguère, dans un grand verger où fleurissait
au centre, l'arbre de la vie...

J'ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
et je n'ai rien compris au monde
et je n'ai rien compris à l'homme,
bien qu'il me soit souvent arrivé d'affirmer
le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je prétendu savoir ce qu'elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
étonnés de si peu comprendre
avez-vous mieux compris que moi ?

Et pourtant, non !
je n'étais pas un homme comme vous.
Vous n'êtes pas nés sur les routes,
personne n'a jeté à l'égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n'avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n'avez pas connu les désastres à l'aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l'humiliation,
accusés d'un délit que vous n'avez pas fait,
d'un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu'on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir !

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n'est
qu'un cri, qu'on ne peut pas mettre dans un poème parfait,
— avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d'orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j'étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j'avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d'homme, tout simplement !

Benjamin Fondane (L'Exode, 1942)

 

L’El Malé Rahamim et le Kaddish ont ensuite été chantés dans un doux recueillement.

Nous nous sommes ensuite retrouvés dans le restaurant "Chez Papa" afin d'y partager le traditionnel verre de l'amitié. L'horaire choisi cette année nous a donné l'opportunité de prolonger notre plaisir autour dans grand déjeuner en commun toujours chez "Papa".

Souhaitons nous d'être encore plus nombreux l'an prochain.