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Commémoration 2022 pour Odette et Moussa

28 octobre 2022

Malgré le temps qui passe, nous étions encore une vingtaine à nous réunir autour d'Odette et Moussa ce dimanche 23 octobre 2022 au cimetière du Montparnasse.

Chaque année, quelques personnes sont dans l'impossibilité de se joindre à nous pour des raisons familiales ou des raisons de santé. Pourtant nous maintenons notre petite embarcation du souvenir à flot grâce à une solide poignée de fidèles et parfois de nouveaux membres. Nous avons eu le plaisir cette année de compter parmi nous une personne dont la famille a hébergé durant un an et demi une jeune fille juive de 15 ans, lui permettant ainsi de survivre au tragique destin qui aurait pu être le sien. Nous vous raconterons cette histoire prochainement.

Sous le soleil d'octobre, Norbert , fils de Jeannette a dit le Kaddish autour duquel tout le monde s'est uni dans le souvenir. Jacqueline Denechère, amie d'Odette et sa fille Catherine n'ayant pu se joindre à nous, ont malgré tout pris soin de transmettre leur attachement à cet acte de mémoire en nous adressant chacune une lettre. Les mots de Catherine Jourdan ont été magnifiquement portés par l'élocution théâtrale de Victor Haïm.

Odette et Moussa : deux noms scandés ensemble dans mon cœur, et un couple uni à la vieà la mort. Mais aussi deux personnes dont je ne veux pas oublier la singularité. Odette, celle qui se consacra toute sa vie au soin des autres ; Odette, la fidèle à sa vocation, son amour et ses amitiés ; Odette toute de générosité et de simplicité, mais l'âme trempée dans une détermination farouche ; Odette, son élégance, son rire franc, son humour souriant. Moussa, celui qui chevaucha la Méditerranée pour s'établir en terre de France et ouvrit grand son cœur à notre littérature médiévale; Moussa qui épousa le théâtre pour la vie, même quand il dut renoncer à la scène ; Moussa qui parlait haut et fort; Moussa, sa voix rocailleuse et ses sourires malicieux.

Plus le souvenir d'Odette et de Moussa s'éloigne dans le temps, plus il me semble parfois les voir, eux, se rapprocher. Parce qu'ils parlent à l'oreille de l'enfant qui leur rendait visite avec ses parents, et que l'enfance vient vers nous quand on vieillit ; parce qu'ils éveillent encore et toujours en moi l'étincelle du théâtre qui nourrissait leur vie et dont ils m'ont fait respirer le parfum d'enthousiasme qui les habitait ; parce qu'ils me semblent de nos jours plus que jamais représenter une source d’inspiration dans une société où l'on vit pour soi, replié sur un désir bien pauvre de bien-être et de sécurité, alors que le monde a tant besoin de chevaliers libres et courageux comme ils ont su l'être en des heures périlleuses et cruelles.
De chevaliers qui se battent contre la volonté d'humilier et de détruire, de faire souffrir et mourir.
Mais de nobles chevaliers qui ne tuent pas, mais qui prennent soin.

Catherine Jourdan - 23/10/2022

 

Les lignes adressées par Jacqueline Denéchère ont été lues par Andrée Poch-Karsenti, notre présidente.

Une belle amitié m'a liée à Odette et Moussa pendant de longues années.

Nous nous rencontrions assez régulièrement autour d'un bon repas ou tout simplement pour prendre un café dans un bistrot. Histoire de bavarder, de parler de la pluie et du beau temps, mais aussi, plus sérieusement, de l'actualité. On s'insurgeait ensemble devant les nombreuses injustices, la misère de tant de gens, l'indifférence des nantis. J'ai vu parfois comment l'un et l'autre étaient brûlants de colère, plus que moi sûrement, car eux avaient vécu une terrible histoire dont ils ne m'avaient jamais parlé. Quand a été révélé le sauvetage par eux des enfants cachés, j'ai été bouleversée. Tant de discrétion, de modestie sur une partie de leur vie m'apprenait ce qu'était la vraie humanité. Leur rendre hommage, c'est honorer deux êtres exceptionnels qui, dans la période trouble de notre époque, où les enfants sont encore des victimes, n’hésiteraient pas à hurler : « Et maintenant, ça suffit ! »

A vous qui entretenez leur souvenir, je vous dis « Merci ».

Jacqueline Denechère - 23/10/2022

 

Emmanuel Gagnier, Secrétaire général de l'association et petit-fils du Pasteur Gagnier, a ensuite lu un texte invitant chacun à prendre sa part de responsabilité dans la nécessité de mémoire de l'histoire du Réseau Marcel.

Lorsque nous avons organisé comme chaque année cette commémoration, Andrée m’a demandé cette année de prendre la parole à sa place. Je dois avouer que, plus habitué à rester dans l’ombre de mes publications internet qu’à m’exprimer devant une assemblée, cette responsabilité soudainement confiée m’a quelque peu mis au défi. Mais Andrée a su me rappeler sans détour que depuis des années, c’est elle qui l’assume sans relâche. Je me suis donc interrogé, non sans mal, sur le propos qui allait être le mien. Puis j’ai repensé à l’objet de notre association : « Préserver la mémoire d’Odette et Moussa Abadi et perpétuer l’histoire de la Shoah ».

« Perpétuer l’histoire de la Shoah », les musées, les livres d’histoire, les nombreuses associations s’en chargent, comme nous. Mais « Préserver la mémoire d’Odette et Moussa Abadi », qui s’en charge ? Nous ? Combien sommes-nous ? Combien serons-nous demain ? L’oubli est l’ennemi de l’Histoire. Et l’histoire d’Odette et Moussa et celle du Réseau Marcel n’est pas dans les livres d’Histoire. Elle est dans notre parole, dans nos actions, dans quelques livres tout de même et surtout dans notre attachement à transmettre au plus grand nombre malgré notre petit cercle. Et le temps qui passe réduit petit à petit ce cercle. Alors se pose la question de comment faire perdurer cette histoire. Car c’est notre responsabilité en tant que détenteurs. Nous constatons tous les jours la nécessité que des histoires comme celle-ci soit rappelées, que les valeurs humaines qu’elle raconte soit diffusées au maximum.

En nous réunissant encore aujourd’hui, nous contribuons à préserver leur mémoire et c’est déjà important. Mais que pouvons faire de plus ? Qui assurera cette transmission dans 10 ans, dans 20 ans ? J’aimerais que chacun d’entre nous se pose cette question : « Comment puis-je y contribuer ? ». Ne comptons pas sur les autres pour transmettre à notre place. Souvenons-nous de ce qu’a dit Moussa : « Soyez des veilleurs, des veilleurs et des éveilleurs. Parlez à vos enfants, à vos petits-enfants. Dites-leur qu'il fut un temps où un juif valait 50 francs ». Si le Réseau Marcel n’est pas dans les livres d’Histoire, soyez vous-même des livres d’histoire et faites de vos enfants, de vos petits-enfants des livres d’Histoire, des livres de cette Histoire !

Emmanuel Gagnier - 23/10/2022

 

Jeannette n'a pas manqué d'user de ses talents de conteuse pour narrer quelques anecdotes racontant tantôt qui étaient Odette ou Moussa, tantôt ce qu'elle a vécu en tant qu'enfant cachée.

Nous nous sommes ensuite retrouvés au restaurant "Chez Papa" à deux pas du cimetière pour y partager le verre de l'amitié que l'association offre traditionnellement à tous les présents. La très grande majorité d'entre nous a prolongé le plaisir d'être ensemble autour d'un déjeuner convivial, chargé de discussions racontant les souvenirs et les projets de chacun.

Nous sommes tentés de vous dire "à l'année prochaine" mais ce serait occulter la volonté qui est la nôtre de vous voir bien avant dans le cadre des activités de l'association.