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Inauguration de la Place Moussa et Odette Abadi

Samedi 13 septembre 2008

Discours de Jacqueline Denechère

Madame le Maire du 12e arrondissement,
Monsieur le Maire-Adjoint chargé de la mémoire,
Mesdames, Messieurs les membres de l’équipe municipale,
Madame la Présidente de l’association « Les Enfants et Amis Abadi »,
Mesdames, Messieurs,

Beaucoup d’entre vous ne me connaissent pas : je ne suis ni une enfant cachée, ni une résistante, ni une femme politique, mais seulement une amie d’Odette et Moussa Abadi qui les a côtoyés pendant une quarantaine d’années. Et je remercie celles et ceux qui m’ont associée à l’hommage qui leur est rendu. Ce que je vais vous dire brièvement va sans doute vous étonner et vous surprendre mais résumera bien qui étaient ces deux êtres humbles, discrets, exceptionnels. Et bien oui, même à moi, si proche d’eux, jamais Odette et Moussa n’ont parlé de ce sauvetage héroïque de 527 enfants juifs. Je l’aurais appris comme tout le monde quand ils ont décidé qu’ils devaient le dire. Pourquoi si tard, pourquoi à ce moment là précisément ?

Avant de tenter une réponse, permettez-moi de les rappeler à nous quelques instants. C’étaient deux personnages qu’on n’imaginait pas séparés. Quand, après une rencontre, on les quittait, on les voyait s’éloigner, se rapprocher, serrés l’un contre l’autre, silhouette à deux têtes, enfin réunis tous les deux seuls. Pour ceux qui les ont connus, vous vous souvenez d’Odette, cette petite bonne femme chaleureuse, aux beaux yeux d’un bleu profond, au regard direct, parfois malicieux mais quelques fois sévère, toujours curieux, en permanence à l’écoute des autres. D’elle qui avait connu tant de souffrances, émanait pourtant un parfum de légèreté qui apaisait. Et personne n’a pu oublier la voix grave et le talent de conteur, l’humour décapant et parfois la dent dure d’un Moussa aux grosses lunettes derrière lesquelles se cachaient charme et tendresse. Lui aussi tellement attentif à la vie de ceux qui l’approchaient. Ces deux là avaient une passion commune : la Vie.

Et la vie, pour eux, c’était la vie courante, simple, faite de rencontres intéressantes, agréables, de bavardages animés, de repas dans des endroits sympas ou autour d’un café dans un bistrot, de discussions enflammées sur des sujets d’actualités, avec leurs amis. Car l’Amitié, c’était sacré. J’ai vécu cette amitié, mais elle est impossible à raconter, mosaïque de petites choses qui s’assemblent, vous enrichissent mais vous laissent dans le désarroi quand la séparation est définitive. La vie pour eux, ce n’était pas ce monde facile et superficiel qu’on appellerait « bling-bling » de nos jours. Ils fuyaient les mondanités. La vie c’était aussi cette vie quotidienne remplie par leurs professions où le théâtre tenait une place primordiale. Moussa y consacrait toute son énergie. Odette en était devenue « accro » et avait ajouté à son métier de médecin celui d’assistante de Moussa. Ensemble, ils débordaient d’enthousiasme et s’y donnaient corps et âme.

Leur vie c’était une passion commune pour les autres et surtout un amour pour les enfants. Et c’est là qu’il est possible de répondre aux questions : pourquoi si tard, pourquoi à ce moment là précisément ? Ils n’avaient pas d’enfants mais un attachement viscéral à l’enfant, l’enfant qui n’est qu’un enfant et mérite toute notre vigilance, notre protection. Parce qu’ils avaient caché et sauvé 527 enfants au péril de leur propre vie, ils savaient peut-être mieux que quiconque définir l’innocence de l’enfant. Et pour eux ce sauvetage n’était pas une action spectaculaire. C’était un élan venu de leurs tripes, un mouvement du cœur naturel, spontané, irrépressible en face d’une injustice monstrueuse. Ils ne s’étaient pas battus pour la gloire, par calcul, pour la postérité. Avec tous ceux qui leur ont apporté un soutien : catholiques, protestant, laïques, ils ont mené un combat par conviction, au nom de principes solides, jamais reniés par la suite : le droit à la vie, la liberté pour tous, la tolérance. Ils ne supportaient que des enfants deviennent des victimes innocentes. Leurs mots c’étaient : fraternité, générosité, respect de l’autre. En revanche, ils savaient que la tolérance ne doit pas être naïve, qu’elle ne doit pas être celle de la joue gauche tendue. Réécoutez le message de Moussa, au Sénat, le 21 mai 1995. Ils ne sont sortis de l’ombre que par devoir, parce qu’ils ont eu le pressentiment d’un danger, parce qu’ils on voulu dénoncer ce tissu de mensonges, ce ramassis de calomnies, cette bête immonde qui s’appelle le « négationnisme ». Pour eux, ne rien dire aurait été une lâcheté. Jamais ils n’avaient voulu aborder leur passé de résistants. Odette, même au cours de nos conversations, évitait de parler de sa déportation, de sa mère et de sa sœur gazées. Mais là, trop c’était trop. Au nom de tant de souffrances, par respect pour leurs 527 enfants qu’ils appelaient nos enfants, ils devaient repartir pour un ultime combat. Leurs liens se sont encore resserrés. Ils ont écrit. Ils ont parlé. Leur passé, leur vécu douloureux, leur expérience justifiaient qu’ils fassent entendre leurs voix. Pour eux, l’heure était arrivée non pas de se mettre dans la lumière mais de nous crier haut et fort qu’il faut savoir rester sur ses gardes, que rien n’est jamais acquis. Est revenu alors ce message qu’ils nous adressé à toutes et à tous et que nous devons transmettre : Quelles que soient nos convictions, nous devons protéger les enfants sans distinction aucune de pays, de race, de religion, de couleur.

Nous devons, à eux les enfants, leur apprendre le respect de la vie des autres, le respect de l’autre, tout ce qui fait la grandeur de l’être humain.

Lisez ou relisez leurs livres, leurs déclarations et vous sentirez leur foi dans une humanité généreuse. J’espère que vous n’aurez plus à connaitre des temps aussi douloureux mais je vous souhaite de croiser des êtres de qualité comme Odette et Moussa Abadi.

Ils sont partis avec élégance sur la pointe des pieds. Merci Odette et Moussa de nous avoir aimés.

Merci à vous de m’avoir écoutée.

 

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